Les Métamorphoses du Droit de l’Urbanisme et de la Construction en 2024

La réglementation française en matière d’urbanisme et de construction connaît une profonde transformation en 2024. Les récentes évolutions législatives répondent à trois enjeux majeurs : la transition écologique, la simplification administrative et l’adaptation aux nouveaux modes d’habiter. La loi Climat et Résilience, le décret tertiaire et la réforme du code de la construction imposent un cadre normatif renouvelé. Ces modifications substantielles touchent autant les collectivités que les professionnels du bâtiment et les particuliers, redéfinissant les rapports entre aménagement du territoire, construction durable et protection environnementale.

La sobriété foncière : objectif zéro artificialisation nette

Le principe de zéro artificialisation nette (ZAN) constitue l’une des innovations majeures du droit de l’urbanisme contemporain. Introduit par la loi Climat et Résilience du 22 août 2021, ce dispositif impose une trajectoire de réduction progressive de l’artificialisation des sols. La loi du 20 juillet 2023 est venue assouplir certaines modalités d’application initiales tout en maintenant l’objectif fondamental : diviser par deux le rythme d’artificialisation d’ici 2031, puis atteindre le ZAN en 2050.

Les documents d’urbanisme locaux (SRADDET, SCOT, PLU) doivent désormais intégrer cette exigence dans une logique descendante. La modification du décret du 29 avril 2022 précise la nomenclature des sols artificialisés et non artificialisés, créant un cadre commun d’évaluation. Les collectivités territoriales disposent jusqu’au 22 février 2027 pour mettre en conformité leurs documents de planification.

Cette réforme modifie substantiellement l’approche des projets d’aménagement. La densification urbaine devient prioritaire face à l’extension péri-urbaine. Les friches industrielles et commerciales acquièrent une valeur stratégique nouvelle comme gisements fonciers à reconquérir. Le fonds pour le recyclage des friches, doté de 750 millions d’euros pour 2023-2027, soutient financièrement cette dynamique.

Pour les maîtres d’ouvrage, cette réglementation impose une réflexion préalable approfondie sur l’impact foncier des projets. L’optimisation des surfaces, la mutualisation des équipements et la réversibilité des constructions deviennent des paramètres déterminants. Les opérations de renouvellement urbain bénéficient d’un cadre fiscal et réglementaire plus favorable que les constructions en extension.

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Performance énergétique et environnementale : la RE2020 et ses évolutions

Entrée en vigueur progressivement depuis 2022, la Réglementation Environnementale 2020 (RE2020) représente un changement de paradigme dans l’approche normative de la construction. Cette réglementation ne se limite plus à la seule performance énergétique mais intègre l’analyse du cycle de vie complet des bâtiments. L’arrêté du 4 août 2023 vient affiner certains paramètres techniques de cette réglementation.

La RE2020 fixe trois objectifs majeurs : diminuer l’impact carbone des constructions, poursuivre l’amélioration de leur performance énergétique et garantir leur adaptation aux conditions climatiques futures. Pour y parvenir, elle instaure des seuils d’émission progressivement abaissés jusqu’en 2031, favorisant les matériaux biosourcés et les modes constructifs à faible empreinte carbone.

Pour les constructeurs, cette réglementation impose une évolution des pratiques. Le recours aux matériaux biosourcés (bois, paille, chanvre, etc.) devient compétitif face aux solutions conventionnelles. Les systèmes de chauffage au gaz perdent progressivement leur pertinence économique au profit des pompes à chaleur et réseaux de chaleur. La conception bioclimatique n’est plus une option mais une nécessité réglementaire.

Le nouveau Diagnostic de Performance Énergétique (DPE), réformé en 2021, devient un instrument central du marché immobilier. L’interdiction progressive à la location des passoires thermiques (classées G depuis le 1er janvier 2023, F à partir de 2028) transforme l’approche patrimoniale des biens immobiliers. Le décret tertiaire impose parallèlement aux bâtiments professionnels de plus de 1000 m² une réduction de 40% de leur consommation énergétique d’ici 2030.

Les dispositifs d’accompagnement financier

  • MaPrimeRénov’ réformée en janvier 2024 avec un renforcement des aides pour les rénovations globales
  • TVA à taux réduit (5,5%) pour les travaux d’amélioration énergétique des logements achevés depuis plus de deux ans

Simplification des procédures : dématérialisation et accélération

La dématérialisation des autorisations d’urbanisme est désormais effective pour l’ensemble des communes françaises. Depuis le 1er janvier 2022, toutes les collectivités de plus de 3500 habitants doivent être en mesure de recevoir et d’instruire par voie électronique les demandes d’autorisation. La plateforme GNAU (Guichet Numérique des Autorisations d’Urbanisme) s’impose progressivement comme l’interface standard entre administrés et services instructeurs.

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Cette transformation numérique s’accompagne d’une refonte des processus d’instruction. Le silence vaut acceptation pour un nombre croissant de demandes. Les délais d’instruction sont strictement encadrés : deux mois pour un permis de construire individuel, trois mois pour un permis collectif. Le non-respect de ces délais expose l’administration à des recours facilités pour les pétitionnaires.

La loi ESSOC II (Expérimentation, Simplification, Souplesse, Ouverture, Confiance) poursuit la dynamique d’assouplissement normatif initiée en 2018. Elle généralise le principe du « permis d’expérimenter » permettant de déroger à certaines règles constructives si le résultat atteint est équivalent. Cette approche par les objectifs plutôt que par les moyens ouvre des perspectives d’innovation technique pour les constructeurs.

L’ordonnance du 17 juin 2020, ratifiée par la loi du 7 décembre 2020, a réformé en profondeur le contentieux de l’urbanisme. Le législateur a renforcé les mécanismes limitant les recours abusifs : obligation de notification, encadrement des transactions pécuniaires, cristallisation des moyens. Les requérants doivent désormais justifier d’un intérêt à agir plus strictement apprécié par le juge administratif.

Adaptation aux nouveaux usages : coliving, habitat réversible et tiers-lieux

L’évolution des modes de vie et de travail trouve progressivement sa traduction dans le droit de l’urbanisme et de la construction. La réversibilité des bâtiments, longtemps freinée par des contraintes réglementaires, bénéficie désormais d’un cadre juridique adapté. Le décret du 31 janvier 2022 facilite le changement d’usage entre bureaux et logements en harmonisant les exigences techniques applicables.

Les nouvelles formes d’habitat partagé trouvent une reconnaissance juridique. La loi ALUR de 2014 a créé le statut de l’habitat participatif. La loi ELAN de 2018 a consacré le concept d’habitat inclusif. Plus récemment, l’ordonnance du 15 septembre 2021 a créé le statut de la société d’habitat participatif, offrant un cadre juridique sécurisé pour ces initiatives citoyennes.

L’habitat léger et mobile bénéficie d’une reconnaissance progressive. Les résidences démontables constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs peuvent désormais être autorisées dans des secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées (STECAL) délimités par les PLU, y compris en zones agricoles ou naturelles. La jurisprudence récente du Conseil d’État (CE, 24 avril 2023, n°468748) conforte cette évolution en précisant les critères d’appréciation du caractère démontable.

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Les tiers-lieux et espaces de coworking, dont le développement s’est accéléré avec la crise sanitaire, posent des questions inédites en matière de qualification juridique et de normes applicables. La circulaire du 15 janvier 2023 apporte des clarifications quant à leur statut au regard du code de la construction et de l’habitation, distinguant selon l’usage principal et la durée d’occupation.

Vers une territorialisation renforcée du droit de l’urbanisme

L’uniformité nationale du droit de l’urbanisme connaît une inflexion notable avec l’émergence d’une différenciation territoriale assumée. La loi 3DS (Différenciation, Décentralisation, Déconcentration et Simplification) du 21 février 2022 renforce les capacités d’adaptation locale des règles d’urbanisme. Les collectivités peuvent désormais moduler certaines règles nationales en fonction de leurs spécificités géographiques, climatiques ou patrimoniales.

Cette évolution se manifeste dans plusieurs domaines. En zone littorale, la notion d’urbanisation en continuité peut être appréciée différemment selon les caractéristiques locales. En zone de montagne, les commissions départementales disposent d’une marge d’appréciation élargie pour autoriser certaines constructions. Dans les territoires ruraux, les chartes d’agriculture et d’urbanisme permettent d’adapter les règles de constructibilité aux enjeux agricoles spécifiques.

La réforme des outils de protection patrimoniale illustre cette territorialisation. Les Sites Patrimoniaux Remarquables (SPR) remplacent progressivement les anciens secteurs sauvegardés, ZPPAUP et AVAP. Leur élaboration associe plus étroitement les collectivités territoriales, qui peuvent définir des prescriptions adaptées à leur patrimoine local. La loi Climat et Résilience a renforcé l’articulation entre ces dispositifs de protection et les objectifs de rénovation énergétique.

Cette territorialisation s’accompagne d’un renforcement des mécanismes de concertation préalable. L’enquête publique traditionnelle est complétée ou parfois remplacée par des dispositifs plus interactifs. La participation du public par voie électronique (PPVE) s’impose pour un nombre croissant de projets. Les grandes opérations d’aménagement peuvent faire l’objet de procédures participatives innovantes, comme le débat public numérique expérimenté sur plusieurs territoires.

Cette évolution vers un droit plus territorialisé soulève néanmoins des questions d’égalité devant la norme et de sécurité juridique. La multiplication des régimes dérogatoires et des zonages spécifiques rend plus complexe l’appréhension globale du droit applicable. Le juge administratif est appelé à jouer un rôle croissant dans l’harmonisation de ces pratiques locales diversifiées.