Face aux aléas climatiques et aux risques divers qui menacent le secteur agricole, la multirisque agricole représente un dispositif de protection fondamental pour les exploitants. Ce mécanisme assurantiel, spécifiquement conçu pour l’agriculture, offre une couverture étendue contre les sinistres susceptibles d’affecter les cultures, le bétail, le matériel et les bâtiments agricoles. Dans un contexte d’intensification des phénomènes climatiques extrêmes et de volatilité des marchés, comprendre les nuances de cette assurance devient primordial pour tout professionnel du secteur primaire souhaitant pérenniser son activité et sécuriser ses revenus.
Fondements et Principes de l’Assurance Multirisque Agricole
L’assurance multirisque agricole constitue un bouclier protecteur pour les exploitations agricoles contre une multitude de risques inhérents à cette activité. Contrairement aux assurances traditionnelles, elle prend en compte les spécificités du monde agricole et sa vulnérabilité particulière face aux aléas naturels et économiques.
Cette forme d’assurance trouve ses origines dans les années 1960 en France, période durant laquelle la modernisation de l’agriculture a nécessité des investissements considérables, rendant indispensable une protection financière adaptée. Le système a progressivement évolué pour intégrer davantage de risques et s’adapter aux transformations du secteur agricole.
Le principe fondamental de la multirisque agricole repose sur la mutualisation des risques entre assurés. Cette approche permet de répartir le coût des sinistres sur l’ensemble des souscripteurs, rendant l’assurance financièrement viable malgré l’ampleur potentielle des dommages dans le secteur agricole. Les compagnies d’assurance spécialisées comme Groupama, Crédit Agricole Assurances ou Pacifica ont développé une expertise particulière dans l’évaluation et la gestion de ces risques spécifiques.
La multirisque agricole se distingue par son caractère modulable. Chaque exploitation possédant ses particularités, les contrats sont généralement personnalisés pour correspondre aux besoins précis de l’agriculteur. Cette flexibilité permet d’ajuster les garanties selon le type de production (céréalière, viticole, maraîchère, élevage), la taille de l’exploitation, sa localisation géographique et son exposition aux différents risques.
Les principes actuariels spécifiques
Le calcul des primes d’assurance dans le domaine agricole obéit à des règles particulières. Les assureurs s’appuient sur des données historiques concernant les sinistres, des modèles climatiques sophistiqués et une analyse fine du profil de risque de chaque exploitation. La tarification tient compte de facteurs variés comme la nature des cultures, les techniques agricoles employées, les mesures préventives mises en place par l’exploitant ou encore l’historique des sinistres de l’exploitation.
Un autre aspect distinctif de l’assurance multirisque agricole réside dans son cadre réglementaire spécifique. En France, elle bénéficie d’un soutien public significatif via des subventions sur les primes, dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC) et du deuxième pilier relatif au développement rural. Cette intervention étatique témoigne du caractère stratégique de l’agriculture et de la nécessité de protéger ce secteur face aux aléas climatiques de plus en plus fréquents et intenses.
Le régime des calamités agricoles, géré par le Fonds National de Gestion des Risques en Agriculture (FNGRA), vient compléter ce dispositif assurantiel pour les risques non assurables. Cette complémentarité entre assurance privée et solidarité nationale constitue une spécificité du modèle français de gestion des risques agricoles.
La multirisque agricole s’inscrit par ailleurs dans une logique de développement durable. Les assureurs encouragent de plus en plus les pratiques agricoles résilientes et respectueuses de l’environnement, parfois via des réductions de primes pour les exploitations engagées dans des démarches agroécologiques ou de certification environnementale.
Couvertures et Garanties Proposées par les Assureurs Agricoles
L’assurance multirisque agricole se caractérise par l’étendue et la diversité des protections qu’elle offre aux exploitants. Cette section détaille les principales garanties proposées par les assureurs agricoles pour couvrir l’ensemble des risques potentiels auxquels font face les professionnels du secteur.
Protection des bâtiments et infrastructures agricoles
Les bâtiments d’exploitation (hangars, étables, serres, silos) bénéficient d’une couverture contre les dommages matériels résultant d’événements comme l’incendie, la tempête, la grêle, le poids de la neige, les catastrophes naturelles ou encore le dégât des eaux. Cette garantie s’étend généralement aux équipements fixes intégrés aux bâtiments tels que les installations électriques, les systèmes d’irrigation ou de ventilation.
La responsabilité civile exploitation constitue un volet fondamental de cette assurance. Elle protège l’agriculteur contre les conséquences pécuniaires des dommages causés à des tiers dans le cadre de son activité professionnelle. Cette garantie peut couvrir les préjudices corporels, matériels ou immatériels occasionnés par l’exploitant, ses salariés, son matériel ou ses animaux.
Couverture des matériels et équipements agricoles
Le parc matériel d’une exploitation représente souvent un investissement considérable nécessitant une protection adaptée. L’assurance couvre les tracteurs, moissonneuses-batteuses, semoirs, pulvérisateurs et autres équipements contre les risques de casse, vol, incendie ou catastrophes naturelles. Des garanties spécifiques peuvent être souscrites pour les équipements les plus coûteux ou stratégiques.
Pour les véhicules agricoles automoteurs, l’assurance propose différents niveaux de couverture, de la simple responsabilité civile obligatoire à la formule tous risques. Des options complémentaires comme l’assistance en cas de panne, le bris de glace ou la protection juridique enrichissent fréquemment ces contrats.
Protection des cultures et récoltes
L’assurance récolte représente un pilier majeur de la multirisque agricole. Elle garantit les pertes de rendement dues aux aléas climatiques comme la sécheresse, l’excès d’eau, le gel, la grêle ou les tempêtes. Depuis la réforme de 2023, cette assurance bénéficie d’un soutien public renforcé avec une prise en charge partielle des primes par l’État et un abaissement du seuil de déclenchement de l’indemnisation.
Des garanties spécifiques existent pour certaines productions particulièrement vulnérables, comme la viticulture (assurance grêle et gel), l’arboriculture (protection contre les aléas climatiques et certaines maladies) ou les cultures sous serres (garanties tempête et bris de verre).
Couverture des risques liés à l’élevage
Pour les éleveurs, l’assurance multirisque propose des garanties adaptées couvrant la mortalité du bétail due aux maladies, accidents ou catastrophes naturelles. Des options spécifiques permettent de couvrir les épizooties et les frais vétérinaires associés.
La perte d’exploitation suite à un sinistre affectant le cheptel constitue une garantie particulièrement précieuse. Elle compense la baisse de revenus pendant la période nécessaire à la reconstitution du troupeau et à la reprise normale de l’activité.
- Garanties de base : incendie, dégâts des eaux, tempêtes, catastrophes naturelles
- Garanties spécifiques aux cultures : grêle, gel, sécheresse, excès d’eau
- Garanties pour l’élevage : mortalité, épizooties, frais vétérinaires
- Garanties matériels : vol, bris de machines, accidents
- Garanties complémentaires : pertes d’exploitation, responsabilité civile, protection juridique
Les assureurs agricoles proposent généralement des formules modulables permettant à chaque exploitant de construire une couverture sur mesure, adaptée à ses besoins spécifiques et à son profil de risque. Cette flexibilité constitue l’un des atouts majeurs de la multirisque agricole face à la diversité des exploitations françaises.
Évolution du Cadre Réglementaire et Soutien Public
Le système d’assurance multirisque agricole en France s’inscrit dans un cadre réglementaire complexe, fruit d’une évolution progressive visant à renforcer la protection des exploitants face aux risques croissants. Ce cadre normatif, en constante adaptation, combine initiatives privées et intervention publique pour garantir la résilience du secteur agricole.
Historiquement, la gestion des risques agricoles reposait principalement sur le régime des calamités agricoles instauré par la loi du 10 juillet 1964. Ce dispositif, financé par le Fonds National de Gestion des Risques en Agriculture (FNGRA), intervenait pour indemniser les pertes de récoltes ou de fonds liées à des événements climatiques exceptionnels non assurables. Toutefois, face à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des aléas climatiques, ce système a montré ses limites, incitant les pouvoirs publics à favoriser le développement de l’assurance privée.
La loi d’orientation agricole de 2006 a marqué un tournant en introduisant un dispositif de subvention des primes d’assurance récolte. Cette mesure visait à encourager les agriculteurs à s’assurer en rendant les contrats financièrement plus accessibles. Le taux de subvention, initialement fixé à 35%, a progressivement augmenté pour atteindre jusqu’à 65% pour certaines productions, conformément aux possibilités offertes par la Politique Agricole Commune (PAC).
L’année 2010 a vu l’adoption du règlement européen Omnibus, qui a renforcé les outils de gestion des risques dans le cadre de la PAC. Ce texte a notamment permis d’abaisser le seuil de déclenchement des indemnisations de 30% à 20% de pertes, rendant l’assurance plus attractive pour les producteurs.
Une étape décisive a été franchie avec la loi du 2 mars 2022 portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture. Ce texte majeur a profondément restructuré le système français en instaurant un dispositif à trois étages :
- Un premier niveau de risques « ordinaires » restant à la charge de l’exploitant via l’autoassurance et les pratiques préventives
- Un deuxième niveau de risques « assurables » couvert par l’assurance multirisque agricole subventionnée
- Un troisième niveau de risques « catastrophiques » pris en charge par la solidarité nationale via un nouveau dispositif remplaçant partiellement l’ancien régime des calamités agricoles
Cette réforme s’est accompagnée d’une augmentation significative du budget consacré au soutien à l’assurance agricole, passant de 150 millions à 600 millions d’euros annuels. Elle a introduit une indemnisation forfaitaire pour les agriculteurs non assurés victimes de catastrophes, tout en maintenant un avantage substantiel pour les assurés, créant ainsi une incitation forte à souscrire une assurance.
Le décret n°2023-140 du 27 février 2023 a précisé les modalités d’application de cette réforme, en définissant notamment les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle agricole et les taux d’indemnisation applicables selon le statut assurantiel de l’exploitant.
Au niveau européen, la nouvelle PAC 2023-2027 renforce encore le soutien aux outils de gestion des risques. Elle prévoit la possibilité pour les États membres de consacrer jusqu’à 3% de leur enveloppe du premier pilier au financement d’instruments assurantiels, option que la France a choisi d’activer pleinement dans son Plan Stratégique National (PSN).
Le cadre fiscal participe de cette architecture en accordant aux agriculteurs la possibilité de déduire fiscalement le coût des primes d’assurance et de constituer une épargne de précaution défiscalisée via la Déduction pour Épargne de Précaution (DEP), instaurée par la loi de finances 2019. Ce dispositif permet aux exploitants de mettre en réserve jusqu’à 150 000 euros pour faire face aux aléas.
En parallèle de ces évolutions réglementaires, les pouvoirs publics ont mis en place des outils de connaissance et de prévention des risques, comme l’Observatoire National des Risques Naturels en Agriculture ou le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, lancé en 2021. Ces initiatives visent à développer une culture du risque et à promouvoir des pratiques agricoles plus résilientes.
Stratégies d’Optimisation de la Couverture Assurantielle pour les Exploitants
Face à la complexité des contrats d’assurance multirisque agricole et à la diversité des risques encourus, les exploitants doivent élaborer une stratégie assurantielle cohérente pour protéger efficacement leur activité. Cette démarche requiert une analyse fine des besoins spécifiques de l’exploitation et une compréhension approfondie des options disponibles sur le marché.
La première étape consiste en une évaluation exhaustive des risques propres à l’exploitation. Cette analyse doit prendre en compte la nature des productions (végétales, animales), la localisation géographique et ses caractéristiques climatiques, l’historique des sinistres, ainsi que les spécificités techniques de l’exploitation. Un audit de risques peut être réalisé avec l’aide d’un conseiller spécialisé pour identifier les vulnérabilités particulières et hiérarchiser les besoins de protection.
La cartographie des risques permet ensuite de distinguer ceux qui peuvent être traités par des mesures préventives, ceux qui doivent être assurés, et ceux pour lesquels l’agriculteur peut envisager de s’auto-assurer. Cette approche différenciée optimise le rapport coût/bénéfice de la stratégie assurantielle.
Pour les cultures, il convient d’analyser finement les rendements historiques sur plusieurs années afin de déterminer le niveau de couverture adapté. Le choix du seuil de déclenchement (pourcentage de perte à partir duquel l’indemnisation intervient) et du capital assuré doit être calibré en fonction de la sensibilité de chaque production aux aléas climatiques et de la capacité financière de l’exploitation à absorber certaines pertes.
La franchise représente un levier d’optimisation majeur. Une franchise plus élevée réduit le montant de la prime mais augmente la part du risque conservée par l’exploitant. Le choix optimal dépend de la solidité financière de l’exploitation et de sa capacité à supporter des pertes ponctuelles. Pour certaines exploitations, une stratégie d’épargne de précaution combinée à une franchise plus importante peut s’avérer pertinente.
La diversification des productions constitue en elle-même une forme de gestion des risques qui peut influer sur la stratégie assurantielle. Une exploitation diversifiée (différentes cultures, élevage) sera généralement moins vulnérable à un aléa spécifique, ce qui peut justifier des niveaux de couverture différenciés selon les productions.
Approche contractuelle optimisée
Au niveau contractuel, plusieurs stratégies peuvent être déployées pour optimiser la couverture :
- La mutualisation assurantielle via des contrats collectifs souscrits par des coopératives ou groupements d’agriculteurs permet souvent d’obtenir des conditions tarifaires plus avantageuses
- L’assurance indicielle, basée sur des indices météorologiques ou de rendement territorial plutôt que sur les pertes individuelles, offre une alternative intéressante pour certaines productions
- Les contrats pluriannuels peuvent garantir une stabilité des conditions et parfois des tarifs préférentiels
Il est judicieux d’explorer les garanties complémentaires proposées par les assureurs, comme la protection juridique, l’assistance ou la couverture des frais supplémentaires après sinistre. Ces options, souvent peu coûteuses relativement à leur utilité potentielle, peuvent s’avérer précieuses en cas de difficultés.
La comparaison des offres entre différents assureurs constitue une démarche incontournable. Au-delà du simple prix, l’agriculteur doit analyser les conditions précises de garantie, les exclusions, les modalités d’expertise et d’indemnisation, ainsi que la réputation de l’assureur en matière de gestion des sinistres agricoles.
L’accompagnement par un courtier spécialisé en assurances agricoles peut représenter un atout considérable dans cette démarche d’optimisation. Son expertise permet d’identifier les couvertures les plus pertinentes, de négocier des conditions adaptées et d’assister l’exploitant en cas de sinistre.
Une attention particulière doit être portée à l’articulation entre les différents contrats souscrits (multirisque exploitation, assurance récolte, assurance matériel, etc.) pour éviter les doublons ou, à l’inverse, les zones non couvertes. Cette cohérence globale de la stratégie assurantielle est fondamentale pour une protection efficiente.
Enfin, la révision régulière de la stratégie assurantielle s’impose comme une nécessité dans un contexte d’évolution constante des risques climatiques, des pratiques agricoles et des offres assurantielles. Un audit annuel des contrats, idéalement avant leur renouvellement, permet d’ajuster la couverture aux évolutions de l’exploitation et du contexte général.
Perspectives et Innovations dans l’Assurance Agricole
Le secteur de l’assurance multirisque agricole connaît actuellement une phase de transformation accélérée, portée par les défis du changement climatique, les avancées technologiques et l’évolution des attentes des agriculteurs. Ces mutations dessinent les contours d’un nouveau paradigme assurantiel, plus réactif, personnalisé et intégré aux pratiques agricoles durables.
Le changement climatique représente sans doute le défi majeur pour l’assurance agricole. L’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements extrêmes (sécheresses, inondations, tempêtes) bouleverse les modèles actuariels traditionnels basés sur l’historique des sinistres. Face à cette réalité, les assureurs développent des approches prédictives plus sophistiquées, s’appuyant sur la modélisation climatique et l’analyse de données massives pour mieux anticiper les risques futurs.
L’agriculture de précision et l’Internet des objets (IoT) ouvrent des perspectives révolutionnaires pour l’assurance agricole. Les capteurs connectés dans les champs, les stations météorologiques à la ferme, les drones ou les satellites permettent désormais une surveillance continue des conditions de culture et une détection précoce des stress. Ces technologies facilitent l’évaluation précise des dommages après sinistre et peuvent même conduire à des indemnisations automatisées basées sur des seuils prédéfinis de paramètres mesurables.
L’assurance paramétrique (ou indicielle) gagne du terrain dans le paysage assurantiel agricole. Contrairement à l’assurance traditionnelle qui indemnise après constatation des dommages, ce modèle déclenche automatiquement le paiement lorsque certains paramètres objectifs (pluviométrie, température, indice de végétation) dépassent des seuils prédéterminés. Cette approche présente l’avantage d’une indemnisation rapide sans nécessité d’expertise, particulièrement adaptée à certaines productions comme les grandes cultures ou les prairies.
Les contrats d’assurance basés sur la blockchain font leur apparition, avec la promesse d’une transparence accrue et d’une exécution automatisée via des smart contracts. Cette technologie pourrait réduire significativement les coûts de gestion et accélérer les indemnisations, tout en limitant les risques de fraude grâce à l’immuabilité des données enregistrées.
Vers une assurance intégrée aux pratiques durables
L’intégration de la dimension environnementale dans l’assurance agricole constitue une tendance de fond. Des bonus écologiques sont de plus en plus proposés aux exploitants engagés dans des pratiques agroécologiques (couverture permanente des sols, diversification des cultures, agroforesterie) qui renforcent la résilience face aux aléas climatiques. Cette approche crée une synergie vertueuse entre protection assurantielle et transition écologique.
Le concept d’assurance préventive émerge comme un nouveau paradigme. Au-delà de la simple indemnisation après sinistre, les assureurs développent des services d’accompagnement pour aider les agriculteurs à réduire leurs risques : conseils agronomiques personnalisés, alertes météorologiques localisées, diagnostics de vulnérabilité des exploitations. Cette évolution transforme progressivement l’assureur en partenaire de la résilience agricole.
Les produits assurantiels hybrides combinant protection financière et services techniques connaissent un développement significatif. Ces offres intégrées peuvent inclure l’accès à des plateformes de gestion des risques, des outils d’aide à la décision basés sur l’intelligence artificielle, ou encore des services de télédétection pour le suivi des cultures.
À l’échelle internationale, de nouveaux mécanismes comme les obligations catastrophes ou les fonds de réassurance public-privé émergent pour renforcer la capacité du marché à absorber des sinistres de grande ampleur. Ces innovations financières permettent de mobiliser les marchés de capitaux pour soutenir l’assurabilité du secteur agricole face à des risques systémiques.
L’assurance du revenu, encore peu développée en France comparativement aux États-Unis, représente une piste d’évolution prometteuse. Ce type de couverture protège l’agriculteur contre les baisses de revenus, qu’elles soient dues à une chute de rendement ou à une dégradation des prix de marché. Son développement nécessiterait toutefois des adaptations réglementaires et un soutien public renforcé.
La personnalisation poussée des contrats constitue une autre tendance majeure. Grâce à l’analyse fine des données de l’exploitation, les assureurs peuvent désormais proposer des couvertures sur mesure, adaptées au profil de risque spécifique de chaque parcelle ou production. Cette granularité accrue permet d’optimiser le rapport coût/bénéfice de l’assurance pour l’exploitant.
Enfin, les mutuelles d’assurance agricole explorent des modèles participatifs où les agriculteurs sont davantage impliqués dans la gouvernance et la définition des produits. Cette approche collaborative pourrait favoriser une meilleure adéquation entre les offres assurantielles et les besoins réels du terrain.
Ces évolutions dessinent progressivement un écosystème assurantiel agricole plus intégré, réactif et personnalisé, capable d’accompagner la nécessaire adaptation du secteur aux défis climatiques et économiques contemporains. La réussite de cette transformation dépendra toutefois de la capacité des acteurs publics et privés à coordonner leurs efforts pour proposer des solutions à la fois financièrement accessibles et techniquement pertinentes.
L’Avenir de la Protection Agricole : Défis et Opportunités
L’assurance multirisque agricole se trouve à la croisée des chemins, confrontée à des défis considérables mais portée par des opportunités inédites. Cette tension entre contraintes et possibilités façonnera l’évolution du secteur dans les prochaines décennies, avec des implications majeures pour la résilience de l’agriculture française.
Le premier défi réside dans l’assurabilité même de certains risques agricoles face à l’accélération du changement climatique. La multiplication des événements extrêmes et leur intensification remettent en question les fondements actuariels traditionnels de l’assurance. Les réassureurs, maillon essentiel de la chaîne assurantielle, expriment des inquiétudes croissantes quant à leur capacité à absorber ces risques de plus en plus systémiques. Ce contexte pourrait conduire à une augmentation structurelle des primes ou à un retrait de certaines garanties, rendant l’assurance moins accessible aux exploitants.
La fracture assurantielle entre différents types d’exploitations constitue un autre enjeu majeur. Actuellement, le taux de pénétration de l’assurance varie considérablement selon les filières : relativement élevé en grandes cultures (environ 30%), il demeure marginal en arboriculture ou maraîchage (moins de 5%). Cette disparité s’explique par des facteurs techniques (difficulté d’évaluation des risques pour certaines productions spécialisées), économiques (coût des primes prohibitif pour certaines filières à forte valeur ajoutée) et culturels (tradition d’auto-assurance dans certains secteurs).
Le juste équilibre entre solidarité nationale et responsabilité individuelle représente un défi politique et social de premier ordre. La réforme de 2022 a redessiné les contours de cette articulation, mais son efficacité reste à confirmer dans la durée. La question du niveau optimal de subvention publique demeure ouverte, entre impératif de soutien à l’agriculture et maîtrise des finances publiques.
La complexité croissante des contrats et des mécanismes assurantiels pose un défi d’appropriation par les agriculteurs. Malgré les efforts de pédagogie déployés par les assureurs et les organismes professionnels, de nombreux exploitants peinent encore à comprendre pleinement les subtilités des couvertures proposées, ce qui peut conduire à des choix sous-optimaux ou à un renoncement à l’assurance.
Des opportunités transformatrices
Face à ces défis, des opportunités significatives émergent pour refonder l’assurance multirisque agricole sur des bases plus robustes et inclusives.
La révolution des données en agriculture ouvre des perspectives considérables pour l’assurance. L’exploitation des données satellitaires, des capteurs embarqués sur les machines agricoles, des stations météorologiques connectées ou encore des analyses de sol permet désormais une évaluation beaucoup plus fine et dynamique des risques. Cette granularité accrue favorise une tarification plus juste et personnalisée, ainsi qu’une détection précoce des sinistres.
L’intelligence artificielle appliquée à ces masses de données transforme la capacité prédictive des assureurs. Des algorithmes sophistiqués peuvent désormais anticiper l’évolution des risques climatiques à l’échelle d’une parcelle, permettant aux agriculteurs et aux assureurs d’adopter des stratégies préventives ciblées. Ces avancées technologiques pourraient progressivement faire évoluer l’assurance d’une logique purement compensatoire vers une approche préventive intégrée.
Le développement de l’agroécologie et des pratiques agricoles résilientes constitue une opportunité majeure pour repenser le modèle assurantiel. Les systèmes diversifiés, l’agroforesterie, la couverture permanente des sols ou encore la sélection de variétés adaptées renforcent la capacité des exploitations à résister aux aléas climatiques. Les assureurs commencent à reconnaître cette plus grande résilience par des conditions préférentielles, créant ainsi une incitation vertueuse à la transition écologique.
Les partenariats innovants entre assureurs, organismes techniques agricoles, startups AgTech et institutions publiques dessinent les contours d’un écosystème assurantiel plus collaboratif. Ces alliances stratégiques permettent de mutualiser expertises et ressources pour développer des solutions plus pertinentes et accessibles. L’émergence de plateformes intégrées combinant services assurantiels, conseil agronomique et outils d’aide à la décision illustre cette tendance prometteuse.
L’internationalisation des approches offre l’opportunité d’importer des innovations éprouvées ailleurs. Les systèmes canadien, américain ou espagnol présentent des caractéristiques intéressantes qui pourraient inspirer des évolutions du modèle français, notamment en matière d’assurance revenu ou de couverture paramétrique.
- Défis climatiques : assurabilité des risques extrêmes, adaptation des modèles actuariels
- Défis économiques : accessibilité des primes, équilibre entre subvention et responsabilisation
- Défis techniques : évaluation précise des dommages, personnalisation des couvertures
- Opportunités technologiques : big data, intelligence artificielle, objets connectés
- Opportunités agronomiques : synergie entre pratiques résilientes et couverture assurantielle
Le marché de l’assurance multirisque agricole connaîtra probablement une phase de concentration et de spécialisation pour faire face à ces enjeux. Les acteurs capables d’investir massivement dans l’innovation technologique et de développer une expertise fine des différentes filières agricoles disposeront d’un avantage compétitif déterminant.
En définitive, l’avenir de la protection agricole se jouera dans la capacité des différentes parties prenantes à co-construire un modèle hybride, combinant efficacement les forces du marché assurantiel privé, le soutien public ciblé et la responsabilisation des agriculteurs dans une approche intégrée de la gestion des risques.
